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Certains événements de ma petite enfance ont fait de moi une solitaire. Malédiction ou bénédiction ? Entre autres, lors d’un cours de danse auquel mes parents m’avaient inscrite, en milieu de session, je me souviens d’une bribe d’expérience de pensée extraordinaire. En les voyant pratiquer un enchaînement de mouvements que j’ignorais, l’idée m’est venue sous forme de questions : les autres pensent-ils comme moi, la même chose et en même temps ? Je ne comprenais pas comment ils connaissaient toutes ces choses que j’ignorais. Je me suis sentie privée de quelque chose ! Comment faisaient-ils pour savoir sur quel pied danser ? Je me sentais différente et non connectée aux autres. Je me suis donc assise au milieu de la ronde, immobile, les yeux fermés. De perdue, je me suis trouvée. Évidemment, c’est devenu un sujet de plaisanterie au sein de ma famille. J’avais beau m’expliquer, mes mots étaient traduits dans leur langage. Un acte de trahison de plus. J’ai compris que je n’appartenais à personne et que cette structure familiale m’était imposée.
Donc, je les évitais car je me sentais souvent en déséquilibre en leur présence. Je perdais mes moyens. Je ne restais pas jointe à moi-même. Comment, dans ces conditions, prendre du plaisir à rester en liens avec eux ou avec les autres ? Je me retirais pour me sentir en paix avec moi. Lorsque je débarque dans un pays inconnu, c’est-à-dire dont je ne connais pas bien la langue ni les codes de vie, la soumission à des rôles préétablis s’allège. Et cela donne un sens à mes voyages et à mes escapades en solo. Il en ressort un sentiment de liberté et d’authenticité. D’accidentelle, la solitude est devenue une alliée permanente, nécessaire et fidèle. D’autant plus qu’elle est vitale pour n’importe qui aspirant à l’autonomie. Comme la révolte, qui est aussi une manière de sortir d’une structure aliénante. Je pense que plusieurs problèmes de dépendance sont reliés à la surimposition de règles et d’occupation du temps que notre société nous oblige à respecter sans possibilité de fuite ou de rébellion. Et comment passer sous silence l’éperon formidable pour l’imagination que constitue la solitude ! Pour moi, de malédiction, elle est devenue bénédiction.